Les couleurs du désert


Edgardo Navarro



23/03/2024 - 27/04/2024

             











Curated by Michael Lilin




Edgardo Navarro est né en 1977 à San Luis Potosi, Mexique.
Il vit et travaille à Paris.


L’exposition est accompagnée d’un tirage numérique reproduisant le triptique Ancêtres (2022), pigments naturels et huile sur toile, 400x200cm.

  Ancêtres, 2024, 48x26cm
impression pigmentaire sur papier archive.
édition à 25 exemplaires signés et numérotés, 
100 €


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Entonces preguntaron: ¿era hermoso?
Ya nadie recordaba aquella superficie
que la luz disputó por alumbrar
y Ie fue arrebatada tantas veces

Ils ont demandé alors : était-ce beau ?
Plus personne ne se souvenait de cette surface
que la lumière à bataillé à éclairer
Et elle lui a été enlevée tant de fois


Rosario Castellano, Nacimiento (Naissance),
1972


Le premier regard porté sur une peinture d’Edgardo Navarro révèle un univers cohérent, des personnages sont dans des décors. Assez rapidement, un trouble survient, des failles se présentent dans ces ensembles. Par exemple, on repère sur le bord de la toile une série de cadres dans le cadre, comme si l’image qu’on observait était au sommet d’un feuilletage d’autres images, masquées mais avec des éléments similaires. Aussi, on remarque une fine ligne derrière les personnages, qui pourrait montrer que le décor derrière eux n’est pas réel mais serait une toile peinte, ou un miroir qui ne reflèterait que partiellement ce qui se trouve devant lui. Le motif géométrique au sol se fond peu à peu dans le désert de cactées, une éclipse se dessine dans le ciel turquoise au dessus des montagnes. Ou encore, un oiseau rouge, qui selon la tradition fait office de messager entre les sphères terrestres et célestes, se transforme peu à peu en motif géométrique…

Nous cherchons à structurer ce que nous voyons pour pouvoir en extraire des informations. Observer ce qui nous entoure, et tenter d’en déterminer les éléments importants, signifiants.
Suivant les cultures et les civilisations, les peuples humains ont bâti des récits fondateurs à partir de ce qu’ils expérimentaient pour tenter d’en élucider les mystères, établir des liens entre le visible et l’invisible.

Edgardo Navarro est Mexicain, et se retrouve à la lisière de trois modèles de pensée avec chacun ses spécificités : lié aux peuples qui vivaient sur ces terres avant l’arrivée des occidentaux, il commence à se former dans le Mexique hispanique, avant de poursuivre ses études à Leipzig en Allemagne et à la Villa Arson en France.
Il base sa pensée plastique sur ces trois univers, en combinant trois visions du monde différentes. Le parcours, présenté ici comme fluide, n’a cependant pas été aussi linéaire : c’est aussi en prenant de la distance en étudiant avec Neo Rauch, un peintre formé dans les écoles d’art de l’Allemagne de l’Est, que la richesse de l’art au Mexique s’est révélée à lui. Le travail se base sur la circulation entre les différents mondes.

La créolisation, c’est un métissage d’arts, ou de langages qui produit de l’inattendu. C’est une façon de se transformer de façon continue sans se perdre. C’est un espace où la dispersion permet de se rassembler, où les chocs de culture, la disharmonie, le désordre, l’interférence deviennent créateurs.
Edouard Glissant, interview dans le journal Le Monde, 2005

Tout ce qui semble paisible au premier abord se remplit progressivement de doutes, et de vie. Edgardo Navarro explique qu’au Mexique le désert, qu’on croit aride et stérile, regorge en réalité d’une multitude de plantes, d’animaux et d’insectes qui en font un univers foisonnant, et que c’est également le lieu dans lequel viennent s’inscrire les légendes et les récits des peuples qui y vivent. La montagne dans le fond est une des montagnes sacrées, dans laquelle il est allé assister à une cérémonie rituelle.

L'artiste a deux types de carnets de recherche : des cahiers d’écoliers à carreaux dans lesquels il imagine de nouveaux types de motifs géométriques, colorés et ludiques, qui seront ensuite employés dans les peintures sur une grille mise en perspective ; d’autres carnets, plus petits, servent à explorer toutes les caractéristiques des personnages qui se retrouvent dans les peintures. Il ne travaille jamais d’après photo, les dessins se font d’après nature, ou sont d’imagination. Dans ces carnets sont étudiés la mise en place de la pose, parfois d’après modèle, parfois en s’appuyant sur une sorte de personnage imaginaire, la façon dont la lumière viendra jouer sur les différentes parties, les plis du tissu, les positions des mains… chaque peinture se voit ainsi précédée d’un ensemble de recherches visant à réduire le plus possible les interrogations au moment où le peintre commence la toile —sachant, que bien entendu même en l’anticipant au maximum, chaque coup de pinceau est accompagné de son lot de surprises…

D’autres dessins, moins habituels dans leur forme, reprennent un peu les cosmogonies traditionnelles, citant par exemple la vision circulaire du temps et des événements : des disques pour lequel il explique que le sens de lecture anti-horaire est essentiel, sur lesquels des motifs se forment de façon presque géométrique, où figurent des personnages et des animaux symboliques, entre le dessin folklorique et les roto-reliefs de Duchamp…

Edgardo Navarro profite de ses aller-retours vers le Mexique pour se nourrir des légendes et traditions qui y sont ancrées, tout en restant conscient de la porosité de sa situation, à cheval sur plusieurs continents. Il y prélève également de la terre de différents endroits au Mexique, en s’appuyant sur l’expertise des habitants du désert. Dans la continuité des traditions qui perdurent depuis les premiers peintres, il va fabriquer une grande partie de ses couleurs : cet échantillon de terre deviendra vert, celui-ci sera jaune… Dans son atelier, il accumule les boîtes et les bidons emplis de poudre de terre séchée, de différentes teintes, pour lesquelles il est capable de se souvenir exactement d’où elle provient, et ses caractéristiques. Ce n’est pas seulement ici l’aspect traditionnel ou pratique qui l’intéresse, mais aussi une forme de pensée alchimique qui voudrait que par ce biais la peinture soit « chargée » du lieu d’où vient la terre.

Ce sont ces différentes facettes de la culture d’Edgardo Navarro qu’on retrouve dans ses peintures : la perspective est issue des traditions picturales européennes, mais elles s’appliquent à un motif répétitif qui s’inspire des motifs traditionnels, les groupes de personnages aux aspects métaphoriques descendent des muralistes mexicains, les cadres dans les tableaux qui dans le même mouvement concentrent notre regard et le diffusent aussitôt… Des liens se nouent dans le temps et l’espace et ces éléments se métissent sans qu’aucun des éléments ne prenne le dessus sur les autres. Ses peintures ne proviennent pas d’une lignée unique, elles ont des origines diverses et partent vers des horizons différents, dans tous les sens à la fois.


Michael Lilin      













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