Come and get your love !
Daniel JOHNSTON
Une exposition galerie Camoufleur & Keymouse
25.03.23 - 06.05.23
Par le passé, Camoufleur avait exposé les dessins de Kyle Field, du groupe Little Wings, les productions plastiques réalisées par les membres de The Sea and Cake, et exploré les liens intimes entretenus avec la musique.
Camoufleur s’attache aux artistes qui oscillent sans cesse entre le pinceau et la guitare, le crayon et le piano, et souhaite célébrer l’irrépressible besoin de créer et de s’exprimer. En réunissant un ensemble de plus de cent dessins réalisés entre 1980 et 2010, cette exposition est l’une des rares occasions d’aborder la quasi totalité des obsessions et techniques de Daniel Johnston.
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Daniel Johnston est né en 1961 à Sacramento et mort en 2019 à Waller au Texas.
Il est principalement connu pour être le fer de lance de la musique indépendante américaine des années 90.
L’exposition rassemble des dessins issus de différentes collections et principalement de celle de Francis Mary, collectionneur, éditeur (Keymouse éditions) et commissaire indépendant. Il a découvert Daniel Johnston et sa mythologie lors d’un concert à Bruxelles en 2000, une rencontre avec « son imaginaire débridé à multiples facettes, un ancrage familial chaotique avec atterrissage forcé, des élans affectifs coulant à gros bouillons, ses défis avec le diable et des danses d’exorcisme avec les héros des grandes figures de la BD américaine », un univers à l’opposé de l’art conceptuel et de ses codes de l’époque.
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Drove the demons
Out of my head
With an organ and a pencil full
Of lead
Daniel Johnston, Sorry Entertainer, 1983
Out of my head
With an organ and a pencil full
Of lead
Daniel Johnston, Sorry Entertainer, 1983
Dans les années 1980, Daniel Johnston travaille au McDonald’s à Austin au Texas, mais il n’a aucun doute qu’un jour, il sera aussi célèbre que les Beatles. Pour se faire connaître, il enregistre des cassettes audio, et les distribue dans la rue, un peu au hasard : une personne qui lui sourit, quelqu’un qui a l’air intéressé, les gens qui font la queue pour assister à un concert.
Sur scène, il interprète ses chansons avec les genoux qui s’entrechoquent, conscient de l’impression mitigée qu’il laisse à l’audience : « Quelques personnes m’aimaient vraiment bien, d’autres se moquaient de moi, ils pensaient que je m’étais échappé d’un freak show. C’est pas plus mal, vraiment, j’ai fait le spectacle » 1 Il illustre les jaquettes des cassettes de dessins qui reprendront ses personnages préférés tirés de comics américains. On retrouve une forme de spontanéité, une grande générosité, une intensité un peu naïve dans toutes les facettes de son travail.
L’univers de Daniel Johnston est, dans le fond, assez simple, il se résume à un combat entre le bien et le mal ; ça se complexifie car les deux forces peuvent prendre différentes apparences, et Daniel Johnston sait bien que c’est une vision personnelle. Des éléments biographiques viennent se mêler aux apparitions de Captain America, aux extra-terrestres et aux personnages à tête de crâne évidé : par exemple, le personnage auquel il manque le haut de la tête, de laquelle sort un courant d’air est un autoportrait, et Jeremiah, la petite grenouille extraterrestre aux yeux pédonculés est un ami proche (il existe une planche où il se représente à ses côtés pour faire la promotion de son album 1990) —cette même grenouille bienveillante qu’on retrouve sur des tee-shirts qui seront portés par Kurt Cobain : Hi, how are you ?
Le parcours hors-normes de Daniel Johnston ne suit pas exactement le plan annoncé, et s’il n’est pas devenu aussi célèbre que les Beatles, il a acquis grâce à son inventivité prolifique une reconnaissance artistique, que ce soit dans le milieu musical ou dans celui du dessin. Il est devenu au fil du temps, jusqu’à sa mort en 2019, un artiste reconnu par ses pairs —moins par le public.
Assez rapidement, Daniel Johnston se montre incapable de vivre de façon autonome, jusqu’au bout, il restera auprès de sa famille, ses parents et son frère gérant les apparitions et les transports. Il fait de fréquents séjours dans des institutions psychiatriques, qui mettront du temps à trouver un traitement adapté qui lui permette de différencier la réalité de son monde imaginaire dense.
Il reconnait des influences artistiques, sans faire de tri entre son imaginaire musical et son monde graphique. Ses héros artistiques sont Jack Kirby, le dessinateur qui a inventé Captain America, Thor ou les Quatre Fantastiques, mais aussi Salvador Dali, dont il accroche des cartes postales dans son atelier «Elles ont l’air de bouger ! Je veux dire, ces peintures sont tellement fortes...» 2 Dans ses dessins, Daniel Johnston reprend des personnages qui viennent
de bandes dessinées, les amène dans des décors souvent minimaux, dans lesquels ils interagissent, se lançant des invectives en pleine bagarre ou discutant paisiblement. Si parfois plusieurs dessins s’enchaînent, le plus souvent ils sont comme isolés d’une histoire dont on n’a pas le début ni la fin, comme si une case avait été extraite d’un ensemble plus grand, et plus délirant. Lui-même considérait qu’un dessin n’était réussi que s’il semblait être tiré d’une histoire qu’on a envie de lire.
Daniel Johnston reste un incorrigible optimiste, et il n’a aucun doute que si le monde est traversé par le combat entre le bien et le mal, le bien finit toujours par l’emporter : «Si le bien ne l’emportait pas, comment pourrions-nous avoir une bonne bouteille de soda ?»3
Michaël Lilin